Dans son corps douloureux, l’âme était triste et meurtrie.
Plus que du froid de la nuit, plus que des douleurs dans les jambes d’avoir tant marché à travers la ville, elle souffrait d’un mal sourd et profond.
En cette veille de Noël, l’âme en peine avançait par les rues, cherchant à ignorer la cause de sa souffrance.
Il y avait si longtemps qu’elle s’était établie dans l’indifférence ! Quand était-elle donc allée s’agenouiller la dernière fois dans un confessionnal pour recevoir le pardon de ses fautes ? Elle ne s’en souvenait plus, ni de la dernière fois qu’elle avait prié…
Ne croyez pas que c’était l’âme d’un grand criminel, non, c’était une personne ordinaire, qui menait sa petite vie, juste oublieuse de la loi de Dieu qu’elle avait substituée par son bon plaisir, par son égoïsme et par toutes sortes de bassesses qui faisaient comme un bruit de feuilles mortes poussées par les tourbillons d’un vent mauvais.
— Était-ce un homme, était-ce une femme, me demanderez-vous. Peu importe.
C’était une âme plongée dans la tristesse, fruit inévitable et amer que produit la conscience en voyant, sans même vouloir se l’avouer, tout ce qu’elle a perdu en rejetant l’amitié de Dieu.
Il y en a tant de ces âmes, endurcies par l’habitude du scepticisme, dans les villes de notre pauvre France qui redevient païenne.
Toute la journée, elle s’était agitée pour réunir les derniers préparatifs de Noël. Car l’âme, malgré l’abandon de sa vie spirituelle, se souvenait encore de la joie et de l’innocence de ses premiers Noëls.
Elle avait soif d’un bonheur qui semblait lui échapper de plus en plus et, dans la mesure du possible, elle essayait de recréer autour d’elle l’ambiance des Noëls de son enfance.
Elle était assez douée pour cela et réussissait malgré tout à rassembler encore quelques amis et quelques familiers autour d’un sapin bien décoré, d’une petite crèche et d’un repas de fête qui n’était pas trop mélancolique.
Malgré les années écoulées, l’âme immortelle gardait l’empreinte de l’enfant qu’elle avait été.
D’ailleurs, si vous prêtez un peu d’attention aux âmes des adultes, vous verrez qu’en elles l’enfant n’est jamais très loin, même si les péchés les ont obscurcies.
Cet enfant finira-t-il un jour par se réveiller ?
Depuis plusieurs jours déjà, l’arbre brillait de toutes ses boules et la crèche sur la cheminée n’attendait plus que l’Enfant-Jésus.
Chaque soir, l’âme alors innocente se réjouissait de faire avancer son mouton après la prière que sa maman lui faisait dire devant la crèche. Comme il était parti du haut de la colline en papier, l’âme s’inquiétait un peu de savoir s’il arriverait à temps le soir de Noël, tout près de la mangeoire.
Son mouton lui rappelait qu’elle devait aussi se présenter à la grotte, toute blanche, pour adresser une fervente prière à l’Enfant-Jésus par l’intermédiaire de la Sainte Vierge. C’était là le meilleur cadeau qu’elle pouvait faire à l’Enfant- Dieu, venu pour nous sauver.
— « Me sauver de quoi ? » avait-elle demandé.
La sauver du péché, lui ouvrir les portes du Ciel, la faire enfant de Dieu, la racheter de l’emprise du démon en mourant pour elle sur la Croix…
Au catéchisme, l’âme avait bien compris qu’à cause de la faute commise par nos premiers parents qui ont désobéi à Dieu, l’humanité tout entière est devenue pécheresse, inclinée au mal, privée de la vie divine, la vie de la grâce. C’est pour nous donner cette vie, pour nous libérer de l’esclavage du péché que Jésus est venu et qu’Il est mort.
Aussi l’Enfant, couché dans la mangeoire entre le boeuf et l’âne, ouvre ses petits bras qui nous accueillent, et déjà s’étendent en forme de croix.
Lorsque l’âme eut fait sa première communion, Noël devint encore plus beau.
Comme la messe de minuit était lumineuse, à l’église paroissiale ! Les cierges brillaient sur l’autel, les chants de Noël montaient dans la nuit et surtout, à la communion, l’âme recevait Jésus, son Sauveur. Elle L’adorait comme les bergers l’avaient fait à la grotte de Bethléem, s’offrait à Lui et en retour un flot d’amour miséricordieux l’inondait.
Elle s’était préparée à cette rencontre merveilleuse. Plusieurs jours auparavant, elle était allée confesser ses fautes, humblement, avec une vraie contrition, auprès d’un vieux prêtre qui ne manquait jamais de l’encourager avec bonté sur le chemin du bien. « Priez aussi pour moi, mon enfant », lui demandait-il, « un jour prochain viendra où vous ne me trouverez plus là pour vous conseiller ».
L’âme ressortait si légère du confessionnal, pleine du bonheur tranquille de se savoir dans l’amitié de Dieu.
Et tous les soirs, pour se préparer à Noël, elle récitait sa prière devant la crèche. C’était une si belle prière qui s’adressait à la Sainte Vierge, Elle qui nous obtient tout de son Enfant.
— « Comment était-ce, déjà, cette prière ? » se demanda l’âme en peine.
Du fond des années d’indifférence, les mots oubliés depuis si longtemps revinrent peu à peu à la surface.
« Souvenez-vous, très douce Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire, qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection… ait été abandonné ».
« … Animé d’une pareille confiance, je viens vers vous ».
… Gémissant sous le poids de mes péchés, je me prosterne à vos pieds.
… Ô Mère du Verbe incarné, ne méprisez pas mes prières mais écoutez-les favorablement et daignez les exaucer.
Dans un premier mouvement d’orgueil amer, l’âme se demanda : « Serais-je donc la première à pouvoir dire que la Sainte Vierge n’est pas venue à mon secours ? » Puis elle se rendit bien compte qu’elle n’avait même pas pris la peine de réclamer ce secours.
Tout en marchant dans les rues vides et froides, l’âme répétait les paroles de la prière de son enfance.
« Gémissant sous le poids de mes péchés… On n’a jamais entendu dire, qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection… ait été abandonné. …Animé d’une pareille confiance, je viens vers vous ».
Une grande douleur envahit l’âme en peine, qui prenait conscience de l’état lamentable dans lequel elle se trouvait.
Du plus profond d’elle-même, montait le désir de regagner l’amitié de Dieu, de retrouver les parfums du printemps de sa vie spirituelle, de restaurer l’innocence perdue.
— « Est-ce encore possible ? » s’interrogea-elle. On n’a jamais entendu dire…
Alors, l’âme se décida. Du plus sincère qu’elle put, elle répéta les paroles du Souvenez-vous et demanda à la Sainte Vierge de venir à son secours.
— « On verra bien » pensa-t-elle, avec son peu de foi. Et elle tourna le coin de la rue.
La lumière à l’intérieur de l’église illuminait les vitraux. La porte était ouverte. Hésitante et surprise, elle entra. C’était la veillée de Noël qui allait commencer.
Par le bas-côté, elle avança jusqu’à l’autel de la Vierge. Une mélodie nataline s’éleva de l’orgue. L’âme éclata en pleurs. Après tant d’années desséchées par l’égoïsme, elle était inondée par les flots du repentir.
Les larmes ruisselaient sur son visage et sa poitrine se soulevait par saccades, comme sanglote un enfant…
Un prêtre était là, pour entendre les confessions. Et par les temps qui courent, ce ne fut pas le moindre des miracles que fit la Sainte Vierge cette nuit-là. L’âme alla s’accuser de sa triste vie éloignée de Dieu et reçut l’absolution de ses fautes.
Je vous laisse à penser la joie du Cœur de l’Enfant-Jésus lors-qu’Il vit, en cette nuit de Noël, son petit mouton blanc qui était revenu.
L’Enfant-Jésus est surtout venu pour les pécheurs. Il ne refuse jamais son pardon. Il accueille avec bonté et miséricorde l’humble contrition.
Aujourd’hui comme hier, Jésus est la solution pour le monde qui s’enfonce dans la nuit du paganisme. Dans le plus grand drame de notre vie, ayons recours avec confiance à notre Sauveur, par l’intermédiaire de la Sainte Vierge à qui Il ne refuse rien.
Benoît Bemelmans